PLUME-PATTE

 
FICHE DU LIVRE : 
Novembre 2020
Auteur : PhilippeVillard
Titre : Plume-patte
Couverture : DessinGérald Herrmann 
176 pages 15 €
ISBN : 978-2-917486-6658

COMMANDE
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Ce projet littéraire, ce roman, n'est pas seulement mon livre. Il est le livre de ces gens de peu, de ces petites gens, d'une certaine «France d'en bas» comme disait l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin. 

Il est le livre, masculin et choral, de ces personnes que j'ai eu la chance de côtoyer parce que ce livre parle aussi d'un voyage transclasse.

Ce livre parle du pays d'où je viens.


Voici quelques années, j'ai lu avec intérêt le reportage «undercover» au long cours de Florence Aubenas intitulé «Le quai de Ouistreham». Elle évoquait ces gens qui, flirtant avec les lisières de la précarité, pratiquaient, vivaient, plus qu'ils ne l'inventaient, une solidarité qui passait par l'échange de services.

Longtemps après avoir refermé ce livre, j'ai été poursuivi par son souvenir. Pourquoi m'avait-il finalement tant marqué? Pourquoi l'ai-je conservé longtemps aux rayonnages de ma bibliothèque?

Puis, dans un registre un peu différent, j'ai aussi apprécié le documentaire «Casse» de Nadège Trébal, et je me suis souvenu de ces moments où j'accompagnais mon père chez les démolisseurs d'automobiles afin de récupérer des pièces pour ses voitures. Et moi-même, avec mes amis de jeunesse, je les ai fréquentés dans le même but...


Entre la pression ultralibérale et les foudroyantes évolutions technologiques, entre l'émergence des communautarismes et les replis identitaires, j'ai voulu rendre compte, dire, témoigner, peindre ce monde englouti dans lequel, je ne sais pourquoi, je me suis toujours senti en position d'observateur.

Je me suis toujours demandé si ces gens se posaient les mêmes questions que moi. Je m'interrogeais pour savoir comment ils faisaient pour «être». Je sentais qu'un coin nous séparait peu à peu et aujourd'hui, je constate que je ne sais rien faire de ce qu'ils savaient faire. J'ai accompli autre chose qui, pour eux, est devenu plus inaccessible, plus incompréhensible, plus illisible et plus intellectuel. Je les ai perdus de vue, mais ils ont laissé en moi une trace profonde.

Le souvenir trahit et enjolive, la narration emporte dans des directions imprévues, et si j'ai voulu les ressusciter, c'est autant pour dire quelque chose sur eux que sur moi, pour eux et contre moi.

Mon voyage transclasse ne m'a pas emmené très haut ni très loin. Je ne suis ni devenu riche ni en position de pouvoir et n'ai même jamais pensé que je pouvais le devenir. Je m'en contente, mais le saut social s'est avéré suffisant pour que je les égare sans pour autant être «inclus» dans une caste bourgeoise, intellectuelle, artistique ou autre, sans que je n'exerce aucun magistère. Et puis, en la matière,  Annie Ernaux ou Édouard Louis sont déjà passés par là...

À mon niveau et avec mes moyens et mes ambitions, j'ai creusé mon sillon, fait face à mes devoirs, mes obligations, mes réussites et mes échecs. Et finalement, en refermant cette histoire de Plume-Patte, je m'aperçois que ces gens-là m'ont communiqué non un art mais sans doute un sens de la joie et un contentement du présent.

Ces choses-là ont sédimenté, décanté, infusé en moi sans que je ne m'en rende compte. Puis vient un moment où, avec l'âge, l'on ne se voit plus trop d'avenir et, malgré soi, en dépit de soi, l'on se tourne vers le passé pour mesurer ce qui a changé.


Pour que je parachève ce long et tranquille voyage en moi-même, il faut ajouter l'impact du mouvement des «Gilets jaunes». Ils ont réveillé ce peuple qui a vu son expression confisquée et qui a surpris bien du monde en produisant parfois un discours qui n'est pas celui que l'on a formaté pour eux et que l'on attend qu'il produise. Le peuple a-t-il été une fois l'idée que l'on s'en fait?

Tout n'a pas été que confusion dans l'expression de cette explosion sociale. Ce réveil porte, crie, le message qu'il existe d'autres vies et d'autres paroles. Descendants des jacqueries du Moyen Âge, héritiers des émotions de l'Ancien Régime, délaissés de la démocratie, ils attisent les braises d'une lutte des classes que l'on croyait morte et enterrée. Ils ne sont pas loin de vouloir changer la vie.


Des «gens de peu» aux «Gilets jaunes» s'esquisse une forme de lutte contre l'invisibilité. Cela a peut-être commencé par les concierges, puis ce furent les balayeurs, les  guichetiers, tous les petits. Toutes ces figures pittoresques qui n'ont pas résisté à la modernité. Elles se sont désincarnées dans l'outsourcing et les rotations démentielles du turnover. Elles ont été les grandes victimes du management, leurs emplois ont génétiquement muté.


Il aura donc fallu ce cheminement complexe pour que les choses fassent sens et  je «rencontre» à nouveau ces caractères qui avaient modelé mon monde. Ce livre est mon chemin, mon pèlerinage, vers eux. Je les ai «retrouvés».