mylène mouton
 

LE MATRICULE DES ANGES N°144 Juin 2013


À l’air libre

Une femme, une chambre, un lit, un fauteuil, une vitre. Mylène Mouton n’a pas besoin de plus pour nous transporter dans une autre dimension. L’Envolée belle, journal d’Apolline clouée entre les quatre murs d’une chambre d’hôpital, est celui d’une métamorphose. Certes Apolline est malade, très malade même. On ne sait rien de sa maladie, juste qu’elle la ronge, qu’elle l’empêche petit à petit de grappiller les quelques mètres qui la mènent à la vitre, seul espace de vie. Là où les arbres marquent le défilé des saisons, et surtout là où sont les oiseaux : l’albatros qui vient la voir la nuit, et l’oiseau aux petites taches blanches sur les ailes. Cette obsession pour l’envol devient une transformation : jour après jour, son corps change, ses lèvres durcissent, ses orteils se nécrosent.

Tout étant écrit du point de vue d’Apolline, il est difficile de savoir ce qui appartient à la dégénérescence due à la maladie, de ce qui revêt un caractère fantastique. Et le roman joue parfaitement de cette interrogation, qui devient un véritable rouage dramatique du récit. Assiste-t-on à la mort d’Apolline, ou à sa résurrection ? La malade a beau montrer la modification de ses pieds au médecin, faire sentir aux infirmières les excroissances qui poussent entre ses omoplates, rien n’y fait. Là où le monde médical voit une occurrence de la maladie, elle est la seule à constater l’évidence : elle se change en oiseau. Aussi douloureux physiquement soit ce passage du corps humain à celui du volatile, rien ne la retient parmi les hommes : ni sa mère, fatiguée de devoir visiter une enfant éternellement malade, et qui promène son corps en pleine santé dans des îles paradisiaques, ni son père atteint de la maladie d’Alzheimer. Ni amant, ni ami. C’est cette tension vers une autre vie, chevillée au corps, ce désir si fort de s’envoler, de troquer les odeurs aseptisées de l’hôpital contre celles réelles de la vie, qui nous tiennent page après page aux pas d’oiseaux d’Apolline.

Virginie Mailles Viard