LES articles dans la presse
FRANCOIS SALVAING
 

LE COURRIER DE GENÈVE


Samedi 14 Mars 2016 



    Bethléem inspire une tragi-comédie endiablée «Le canon de char s’avança jusqu’au-dessus de la natte où reposait Sœur Sylvie...» Assurément un bon début pour un roman. Mais de quoi, à court terme, saboter le spectacle pacifique d’une crèche vivante alors en chantier. La Crèche, puisque tel est le titre du dernier roman de François Salvaing, démarre ainsi sur une brutale rupture de la vie au jour le jour d’un orphelinat situé dans une région sensible de l’Orient, à Bethléem. Car une guerre, encore une, survient tout de go en Cisjordanie, l’opération Clarté Définitive.

    La mise en scène de cette énième et assez ultime conflagration constitue de la part de François Salvaing un tour de force ou au moins d’audace: ils ne sont pas si nombreux, les écrivains implantant dans le chaudron du Proche-Orient un scénario de politique-fiction. Il faut admettre que la politique réelle à l’est de la Méditerranée défraie déjà beaucoup la chronique.

    Ce choix donne au livre une dimension satirique, où l’humour noir acquiert un aspect provocant qui pousse le lecteur dans ses retranchements. Le destin de Sœur Sylvie et de toute une flopée d’orphelins bascule un jour qui n’est pas un «beau jour», donc, mais celui d’un exode forcé.

    L’opération Clarté Définitive implique l’évacuation une fois pour toutes – comme le suggère l’adjectif de cette dénomination militaire plus vraie que nature – du peuple de Palestine et sa dispersion dans divers pays d’accueil, hors de sa terre, en France notamment, où rebondit ce récit. 

    Mais les religieuses n’entendent pas laisser tomber leur projet de crèche vivante. Leur rêve: la mettre en place dans l’église de la Nativité à Bethléem. Fût-ce après ce grand chambardement stratégique. 

    Le romancier suit ainsi les vicissitudes d’Elias, alias Joseph (tel doit être son rôle dans la fameuse crèche), et de Toufik, aspirant roi mage sous le nom de scène de Melchior. A noter que d’autres gosses sont seule ment désignés par leur fonction, l’usurier, la fille de joie, la sage-femme, selon la distribution établie avant que le canon d’un tank israélien compromette gravement les répétitions. 

    Le lecteur se voit ensuite mené tambour battant dans un mélange d’aléas administratifs (visas, demandes de soutien) et sentimentaux qui impriment à l’ouvrage un rythme enlevé et endiablé. Par ailleurs, au fil des mois, plus d’un enfant palestinien sera adopté par telle ou telle famille française, la petite troupe tendant à s’éparpiller dans l’Hexagone. De sorte que quand l’horizon s’éclaircit – le projet de show télévisé à Bethléem qui rend possible la crèche forme un joli morceau de satire de la «société du spectacle» –, il va falloir sillonner la France afin de rameuter les jeunes acteurs. En attendant une autre surprise qui, elle, prendra de court le monde entier. Voilà un roman abouti, tragi-comique, où un grain de sable peut toujours s’insinuer dans les rouages. MOP